« Four », cette architecture est refusée !

Durant nos études d’architecte, lorsqu’un projet, travail de plusieurs jours et quelques nuits, était refusé, les professeurs lançaient l’expression « four », sentence  marquant notre échec. Depuis quelques temps nos élus se piquent d’architecture et refusent des projets petit ou grands avec pour motif, l’article R 111-27 du code de l’urbanisme.

Que prévoit cet article ? :

 Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales.

 Aux fins de déterminer s’il y a « atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants », le juge administratif apprécie, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée. En effet, ce dernier doit présenter un intérêt particulier (CAA Versailles, 13/09/2018, n° 16VE02275).

 Voici le décor planté, maintenant les faits.

 Ces dernières années, plusieurs exemples démontrent cette dérive non seulement pour mon agence mais également pour celles d’autres confrères, raisons de ce billet d’humeur.

 Extension cube en 2015

 Mon premier exemple date de 2015. Lors de l’instruction du permis de construire, par une commune pour laquelle depuis plus de 36 ans, aucune anicroche n’a été signalée, les élus furent interpellés par le volume cubique de l’extension. Une incompréhension sur l’esprit du projet nous a conduit à négocier « pied à pied ». Mes clients ont même écrit au Maire :

« Enfin, je commence à me demander pourquoi nous subissons un tel acharnement ? A-t-on été médisant ou néfaste à un membre de votre équipe ? Comprenez bien Monsieur le Maire que si c’était le cas je prie de bien vouloir accepter mes excuses à cette personne et que mon intention n’a jamais été de nuire. Toutefois, j’aimerai savoir ce que j’ai fait … » 

Le projet a fini par être construit, mais que de labeur et de poids qui se rajoute à notre mission déjà bien chargée.   

Extension bois en 2016 .

 Un autre exemple, un premier projet déposé en 2016, avec un refus puis un deuxième refus ont conduit nos clients a totalement abandonné leurs premières idées car l’extension, réalisé en bardage bois de convenait pas à l’élu :

 

« Pour ces motifs, il a été considéré que le projet d’extension avec un bardage bois ne s’harmonisait pas avec la construction existante en pierres meulières. Pourriez-vous donc revoir votre projet ? Nous fournir éventuellement des photographies (et non des insertions) de projets de même type déjà réalisés ? »

En 2017, le service des bâtiments de France avait pourtant communiqué un avis favorable :

Accord de principe de XXXX ABF sur ce projet contemporain de la surélévation au vu des pièces jointes.

 

 Lors de mon rendez vous avec l’élu, des directives architecturales ont été affirmées : un pavillon ne pouvait pas être en bois ! Même en expliquant qu’interdire des matériaux était illégal (Journal officiel du Sénat, 8/11/84 page 1799), l’élu ne changea pas de point de vue.

Le projet final est totalement différent, abandon de l’extension pour une une surélévation dans le même esprit que celui de la maison, l’application du mimétisme architectural, nouvelle école prônée par nos élus ! Ne comptons pas le temps, presque 5 ans et l’énergie perdues, 3 dossier de permis de construire ! 

Extension cube en 2018

 Un projet pour lequel le permis de construire a été déposé en 2018. Le projet initial, situé au fond du jardin, dans un petit espace totalement intime proposait un cube gris anthracite. La réaction de la commune fut vive et le rendez-vous d’échange de points de vue fut houleux. J’ai même précisé l’emplacement du canapé !

 

 Pour donner suite à notre rendez-vous de ce matin, j’ai rajouté deux perspectives dans la variante du bardage clair. Les fenêtres sont modifiées pour marquer la verticalité. Le soubassement sera fixe pour laisser la possibilité d’installer un canapé. J’espère que ses modifications vont dans le sens que vous souhaitez.

 C’est un rendez-vous direct entre la mairie et les clients qui a permis de conserver la fenestration et de ne modifier que la couleur du bardage. Rappelons que les élus était hostile à l’ensemble du projet initial !

Surélévation toiture terrasse en 2021

 Les deux exemples suivants récents montrent un refus catégorique pour un « volume cube ». Deux communes différentes, même réaction. Deux sites similaires, proches d’une voie ferrée, dans un tissu pavillonnaire caractéristique des années 1970/1980. Des sites urbains et diffus sans caractères particuliers. Pour ces deux dossiers, le refus de permis de construire a été prononcé sans même en avertir notre agence. Le parti architectural du « cube » permet de redonner une vigueur aux bâtiments existants. En effet, ceux-ci ont  connus des extensions très variables, sans unité de style, sans volonté créative.  Ce « cube » est associé avec une toiture végétale qui participe à la biodiversité, et à l’absorption du CO2 et de l’eau. Ces arguments ne furent pas convaincants pour nos élus. Pour des projets microscopiques dans un environnement sans particularité, il a été mis en avant l’article R 111-27 du code de l’urbanisme, nouveau Graal des élus… Pour un des projets, une réunion en distancielle a été programmée, mais l’élu s’est porté « pale » à la dernière minute.

 

Et voici la sentence :

CONSIDERANT que le projet porte sur une extension avec une toiture terrasse qui ne s’intègre pas au bâti et aux constructions du voisinage immédiat.

ARTICLE UNIQUE :

Le permis de construire EST REFUSE pour le projet décrit dans la demande susvisée. 

La peur du cube ?

 Cette nouvelle peur du « cube » reflète ce nouveau monde ultra connecté qui se recroqueville à outrance. Vouloir mettre deux pentes afin de retrouver une grammaire architecturale proche des dessins d’enfants, voilà encore l’application du mimétisme architectural

 

Avons-nous porté « atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants » en proposant ces différents volumes ? Est-il légitime que notre architecture soit jugée entre deux portes par des non sachants ?

La loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture indique que « L’architecture est une expression de la culture ».

Inspirée de Tylor et de Durkheim, la culture peut être définie comme un « ensemble lié de manières de penser, sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte« .

Ce jugement à l’emporte-pièce sur l’architecture, démontré au travers des exemples précédents s’inscrit-il dans une démarche objective ?

 Epilogue.

 J’ai eu l’occasion d’exprimer mon point de vue sur les échanges avec certains élus auprès d’un ministre délégué au logement qui lors d’une conférence sur le permis de construire enjoignait les architectes à échanger avec les services municipaux. En préambule de mon intervention j’ai indiqué que mes propos n’allaient pas forcément être corrects car je ne pouvais pas répéter tous les échanges et les paroles tenues par les élus.

 

 Monsieur le Ministre m’a répondu qu’effectivement je n’étais pas correct, et que si je n’étais pas satisfait de la situation, je n’avais qu’à faire de la politique… Mais moi, je veux juste créer de l’architecture avec mes clients….